Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
Une femme debout
Catherine Bardon
Les Escales
le 4 janvier 2024 aux Éditions Les Escales, 288 pages.
288 pages
Biographie romancée
Chronique
9 avril 2024
Quelques citations pour commencer :
"Après la mort, il n'y a rien et la mort elle-même n'est rien. Mourir en combattant, c'est la mort détruisant la mort." Seamus Heaney
"Les livres servent d'écrin aux vies, ils les tiennent à l'écart de l'amnésie, de la violence et de la désorganisation du monde. Voilà pourquoi il est nécessaire qu'ils n'en fassent qu'à leur tête." Laurent Bénégui
"J'espère que ce roman, qui n'est pas un plaidoyer mais plutôt un état des lieux, contribuera à faire connaître la situation migratoire complexe dans l'île d'Hispaniola et à éveiller la vigilance plus que jamais nécessaire face à la situation des migrants et à toutes les formes de racisme."C. B.
Roman biographique ou biographie romancée, quoiqu'il en soit, un récit essentiel et incontournable alors que les crises migratoires sont au centre des préoccupations mondiales.
Ce qui se déroule sur l'Île d'Hispaniola entre Haïti et la République Dominicaine en est une illustration dramatique.
Ce roman est pour son autrice une dette envers une femme qu'elle n'a pas connue ; elle se sent le devoir de retracer le parcours exceptionnel de cette avocate défenseuse des droits de l'homme et du citoyen haïtien vivant en République dominicaine.
Elle fut maintes fois récompensée, honorée, au cours de sa trop courte existence et l'on comprend pourquoi :
Prix Ginetta Sagan (2003)
Prix Robert F. Kennedy des droits de l'homme (2006)
Médaille Giuseppe-Motta (en) (2008)
Prix international de la femme de courage (2010)
Catherine Bardon remonte le temps jusqu'à la naissance en 1963 de celle qui sera une héroïne hors du commun, surdouée, préoccupée des autres, révoltée par l'injustice, prête à tout pour lutter contre celle-ci, consciente dès ses 13 ans qu'il fallait s'engager dans une révolte organisée, imposer ses vues et ses exigences à des patrons esclavagistes, à des gouvernements. Elle va sérieusement gêner les dirigeants haïtien et dominicain elle, la petite fille de pauvres élevée dans un batey, sorte de campement où survivent misérablement les coupeurs de cannes à sucre dans des conditions insupportables.
Venus en République Dominicaine pour six mois, ses parents vont vite déchanter, piégés dans une zone de non droit, asservis et sous payés. Un retour en Haïti est impossible. Les voilà bloqués, comme des milliers d'autres, dans un no man's land, en enfer.
À sa naissance l'administration dominicaine a mal orthographié son prénom, inscrivant le prénom de Solain et le nom de Pié. Cela commençait mal.
Par ses manifestations, elle attira l'attention du public et d'organisations internationales défendant les droits de l'homme.
Cette militante a combattu toute sa vie en République dominicaine l'anti-haïtianisme que manifeste régulièrement une partie de la population dominicaine envers les émigrés haïtiens
En 2005, devenue avocate, madame Pierre "demanda à la Cour interaméricaine des droits de l'homme de statuer sur le cas de deux enfants d'origine haïtienne qui se sont vu refuser un certificat de naissance dominicain. La Cour interaméricaine a confirmé les lois régissant les droits de l'homme et interdisant la discrimination raciale dans l'accès à la nationalité et à la citoyenneté. Le tribunal a également ordonné au gouvernement dominicain de fournir les certificats de naissance". Malgré cette victoire, tout s'enlisa et le combat dut reprendre.
Tout fut fait pour la décourager :
Par exemple, en 2007, elle fut menacée d'être déchue de la nationalité dominicaine en raison de l'erreur sur son nom à sa naissance.
En 1981, elle fonde le Mouvement des femmes dominicano-haïtiennes (MUDHA) (en espagnol El Movimiento de Mujeres Dominico-Haitiana), une organisation non gouvernementale contribuant à éveiller la conscience de l'opinion publique dominicaine et internationale sur le sort inacceptable et les conditions inhumaines réservées aux membres de la communauté haïtienne vivant en République dominicaine.
Elle fut l'invitée et l'amie des grands de ce monde entre autres les Kennedy et Obama, mais aussi des plus humbles.
Elle meurt malheureusement le 4 décembre 2011 des suites d'un malaise cardiaque. Suite à sa disparition, la situation des Haïtiens en République Dominicaine a encore empiré dans un silence assourdissant.
"C'est quoi une vie d'homme ? C'est le combat de l'ombre et de la lumière. C'est une lutte entre l'espoir et le désespoir, entre la lucidité et la ferveur... Je suis du côté de l'espérance, mais d'une espérance conquise, lucide, hors de toute naïveté. "
Ces mots de Aimé Césaire auraient pu être ceux de Sonia Pierre, ceux de Robert Kennedy également qui affirmait :
" Vous voyez le monde tel qu'il est et vous vous dites : Pourquoi ?
Moi je rêve d'un autre monde et je me dis : Pourquoi pas ? "
Alors laissons passer les rêves, portons les, accompagnons les rêveurs si nous ne pouvons en être nous-mêmes. Et surtout ne les oublions pas et continuons leur œuvre.