Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
Un océan Deux mers Trois continents
Wilfried N'sondé
Actes Sud
Janvier 2018
269 pages
Historique
Chronique
23 janvier 2018
« Un océan, deux mers, trois continents » reçoit, en 2018, le Prix Ahmadou-Kourouma.Nous avons eu beaucoup de chance en ce début de saison littéraire 2017/18, nous amoureux, accros, mordus de beaux, très beaux textes, si exceptionnels par la musique des mots, par l'écriture inspirée, imagée et imaginative, renouvelant le style, les thèmes, repoussant ainsi les barrières du temps par leur valeur universelle et contemporaine.Nous sommes face à un roman qui regroupe ces qualités, relatant la vie de Nsaku Ne Vunda.
Concernant la question de l'esclavage, particulièrement, ( devons nous le rappeler existant depuis le début de l'humanité, ayant touché tous les continents, toutes les couleurs de peaux, et malheureusement toujours d'actualité), deux très beaux romans biographiques et historiques ont été édités en 2017 : « No home » de Yaa Gyasi se situant au Ghana au XVIIIeme siècle, abordant entre autres le rôle des africains dans la traite de leurs frères, et « La sonate à Bridgetower ou Sonata mulattica » de Emmanuel Dongala, se situant en 1789 en Europe où se produisit le violoniste prodige mulâtre Georges Bridgetower. Là, la problématique de l'image que les noirs ont d'eux-mêmes en cette période de pré-révolution par la bouche du Chevalier de Saint George et d'autres figures artistiques et intellectuelles était passionnante. Et comme dans le livre de Wilfried N'sondé, le héros était noir et éduqué dans une culture blanche et européenne. ( L'autre point fort de ce récit était l'exposition détaillée de la traite d'humains dans le monde à travers les siècles. Edifiant !).
La biographie romancée « Un océan Deux mers Trois continents » met en scène un héros qui sera le témoin privilégié du traitement innommable et insupportable infligé aux africains par les européens, mais aussi par ses frères. Impensable ! Le double intérêt de ce récit est en plus l'appartenance du narrateur noir à l'église catholique blanche. L'analyse toute en finesse, en délicatesse des évènements est donc deux fois plus percutante et foudroyante.
Ce jeune homme heureux dans son pays, sa culture, son village, sa religion, va donc être poussé par les évènements à ouvrir les yeux, à poursuivre jusqu'au bout de la souffrance physique, psychologique et spirituelle son Initiation.Cet homme laudateur de la parole sacrée, du Verbe, devra mener une mission plus vaste et ardue : être le porte-vérité de toutes les voix des victimes de ce trafic inhumain auprès du Pape et du monde dit civilisé.Les morts murmurent, écoutez- les...
Jusqu'à une certaine époque, le royaume du Kongo était une terre traversée par un grand fleuve puissant du même nom, où régnaient la beauté et l'équilibre de l'ensemble de la Création.L'humanisme, le respect de tous les êtres vivants, de la Nature, dans l'amour de son prochain, en toute humilité, en harmonie avec Dieu ou le Tout, coulaient de source.
Ce que j'aime dans les textes comme celui-ci est le retour aux contes millénaires, essentiels à la compréhension de ce monde, de son organisation, de sa magie.
Perpétuant, toujours la mémoire des neufs femmes, les mères originelles qui, selon la légende, firent naître ce pays dont le nom signifie « le lieu où il ne faut pas se rendre » et ce peuple des Bakongos, notre héros Nsaku Ne Vunda, devint Dom Antonio Manuel le jour de son ordination en ce début du XVIIeme siècle.
Heureux, s'occupant tranquillement de la construction d'une chapelle dans son village natal Kogo où il a souhaité revenir pour poursuivre son ministère, sa réputation de sage, de bienveillant, d'honnêteté, d'homme de Dieu toujours à l'écoute des esprits, s'étend jusqu'à la capitale.Or le Kongo a bien changé depuis que certains s'estiment supérieurs à d'autres, depuis qu'on fait le commerce d'humains et qu'on évalue le prix d'une vie.L'esclavage est une manne financière pour les européens mais également pour certains Bakongos. Depuis le roi Alfonso Ier, devenu chrétien au siècle précédent, le négoce s'est développé dans le fameux triangle Afrique Amérique Europe.
Dom Antonio Manuel est invité à se rendre à Luanda dans le palais du roi Alvaro II, descendant de la célèbre et courageuse lignée des femmes, précitée. Mais ce monarque est considéré par les Portugais comme un vulgaire pion. La rencontre entre le religieux et le roi doit donc avoir lieu au plus vite.
En effet le pays va mal et perd son âme dans cette participation active à ce négoce contre nature. Il est temps de répondre à l'invitation du Pape Clément VIII et de mandater au Vatican un ambassadeur au dessus de tout soupçon, un africain, prêtre de surcroît, élevé dans l'amour de son pays et l'admiration naïve et aveugle pour la lointaine Europe. Alvaro Il aimerait que le pape intervienne auprès des portugais, français et espagnols.
Mettez-vous à la place de notre curé ! Pensez donc....rencontrer le pape ! Notre narrateur est fou de joie, n'y croit pas, se sent tellement honoré, vite on l'embarque sur un bateau français.....Mais celui-ci n'ira pas directement à Rome, non ! Une très mauvaise surprise attend notre pauvre prêtre candide. Il est sur un négrier " le vent Paraclet" en partance pour le Brésil..... En passant des mois en mer sur ce navire, puis celui d'un pirate à la solde du nouveau Pape Paul V, atteignant Lisbonne et l'Espagne, notre pauvre et courageux prêtre arrivera-t-il enfin à mener sa mission ? Quelles leçons tirera-t-il de ce périple ? Qui est donc son mystérieux compagnon de voyage, Martin ?
Grand roman d'aventures, d'amour, d'Histoire imaginée et réelle, puisqu'effectivement le buste en marbre noir du vrai Nsaku Ne Vunda réalisé par Francisco Caporale est toujours visible à Rome, ce livre épique traite aussi de questions philosophiques immuables, de la grandeur et la bassesse des humains, du devoir de mémoire...Pour illustrer ce magnifique récit, j'ai ajouté des documents, des gravures, des photos. Vous l'avez compris, j'ai été profondément touchée par ce livre, heureuse de retrouver une partie de mon histoire familiale et de mon enfance, indirectement.