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Éva a lu pour vous ..

Chroniques littéraires

Spleen au lavomatic

Valère-Marie Marchand

Héliopoles

Le 3 octobre 2024

312 pages illustrées

Roman magique

Chronique

3 octobre 2024

 Attention, adeptes des lavomatics ou des machines à laver le linge ! Vous êtes en danger ! Ne fixez jamais, Ô grand jamais, le hublot d'un de ces objets infernaux en plein cycle de lavage ou pire d'essorage ! Tels des boules de cristal ou des miroirs de sorcières diaboliques, il pourrait vous emporter loin, très loin, vous faire voir, apercevoir des réalités, des êtres, des choses, dont il vaut mieux ignorer l'existence. Ou alors il pourrait faire surgir en vous des aptitudes que vous ignoriez. Les hublots peuvent être des portes ouvertes vers l'inconnu... 


Surtout, lorsque comme Émilien Dorval, jeune écrivain en devenir, faussement dilettante et véritablement singulier, hors du temps, dans son monde, vous fréquentez la Laverie 66 et n'utilisez que la machine 6. Non mais, vraiment !?!? Il les cherche les ennuis, il en redemande même. 

Paumée dans une rue sombre vers la Bastille, ce commerce ouvert en permanence, lieu d'échouage d'individus divers et variés tous préoccupés de se débarrasser de la crasse et des mauvaises ondes accrochées à leurs nippes, est avec son éclairage agressif, ses distributeurs de lessive, de monnaie, sa propreté douteuse, son immense miroir en fond de salle, le bruit assourdissant des coups de folie mécanique et enfin son confort relatif, le centre de l'existence pas joyeuse, joyeuse, de certains habitants du quartier. Sous des dehors de banalité, voici en réalité un théâtre miniature où se jouent des drames, des sketchs, des one-man shows, des scènes loufoques, improbables, tellement humaines dans leur prosaïsme. Et en fait, NON, vous êtes à côté de la plaque. 

"Sans être une voie de garage, la Laverie 66 pouvait relever de l'impasse métaphysique. Il émanait en effet de l'endroit une clarté sournoise, une couleur de spot halogène qui le rendait franchement inhospitalier". Stephen King, bonjour !


Emilien, donc, veut coûte que coûte finir son roman. Marre des piges à droite et à gauche, il a trente ans que diable, il doit se bouger. Mais avoir les idées claires nécessite d'avoir du linge propre. Hop, le Caddie en main, direction le Lavomatic 66, son manuscrit à portée de main, ( oui vous avez bien lu, un manuscrit !!!  l'Emilien est de la race des dinosaures ). Faudrait voir à ne pas perdre son temps, pendant que ses affaires tourneront dans la machine 6 puis le séchoir, il reverra son texte. 

Dans son ennui, lui reviennent des citations en veux-tu en voilà, de ses écrivains favoris, car notre héros est un adulescent cultivé à la mémoire époustouflante : ainsi cette phrase extraite du chef-d'œuvre d'Oscar Wilde, "Dorian Gray" : " Seuls les sens peuvent guérir l'âme, tout comme l'âme seule peut guérir les sens." 


Ces mots semblent parfaitement concerner Émilien qui, peu à peu, comme hypnotisé par la vision de son linge tournant dans la machine élue, commence à percevoir des choses étranges, des réalités comme parallèles, transporté ailleurs alors qu'il tombe dans un sommeil profond. 

Synesthète ou pas synesthète ? Voilà la question. 


Pour rappel wikipédien (oui, moi aussi je vais sur google, mea culpa) : 

" [...] la synesthésie est involontaire et automatique ; les images synesthétiques apparaissent spatialement, ce qui signifie qu'elles ont souvent une position définie dans l'espace [...]

La synesthésie désigne aussi un procédé poétique ou artistique qui permet de mettre en relief une image en faisant appel à d'autres modalités sensorielles. " Ne serions-nous pas tous un peu synesthète ?


Nous voilà bien ! Et la fréquentation par deux fois du cabinet d'une psy entreprenante n'y changera pas grand chose pour notre héros malgré lui. Il faut dire qu'il en était à se voir tel Narcisse dans le maudit hublot !


Donc, retour sur image, à son réveil, branle-bas de combat : son manuscrit a disparu ! Horreur et putréfaction, et le voilà s'accrochant à toutes les devises et mots célèbres de Georges Pérec ou de Céline ou encore Proust, Hugo, Zola, Flaubert, Balzac sans oublier évidemment Baudelaire et sa correspondance : 

« Comme de longs échos qui de loin se confondent […]

Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.

Il est des parfums frais comme des chairs d'enfants,

Doux comme des hautbois, verts comme des prairies,

- Et d'autres corrompus, riches et triomphants, […] »

Ou le dernier quatrain de son poème « Tout entière »  :

« Ô métamorphose mystique

De tous mes sens fondus en un !

Son haleine fait la musique,

Comme sa voix fait le parfum ! »


Se pourrait-il qu'il ne soit pas le seul écrivain, artiste ou créateur à être synesthète ? 


Décidément le " Spleen de Paris " s'accroche à Emilien comme il le fit avec le grand Charles. 

En attendant la course poursuite continue, et l'enquête également au sein du véritable vivier d'êtres humains hallucinants que sont les clients du Lavomatic :  Fleur de bitume, le Baroudeur de Paname, l'Homme gris, le Grand Taciturne, le Cataphile, la Fumeuse désinvolte, Gribouille, le Métronome, etc, etc... autant de silhouettes et personnalités étranges, attachantes, flippantes, séduisantes, repoussantes, qui ne l'aident que peu à remettre la main sur son Précieux. 

Questions : pourra-t-il retrouver son chef-d'œuvre en devenir ? La synesthésie peut-elle se guérir ? Et enfin, ce Lavomatic 66 ne cacherait-il pas un secret ? 


Merci Valère-Marie Marchand pour ces 312 pages pétillantes, savoureuses, brillantes, émouvantes, poétiques, magiques, étrangitoires, pertinentes, et, et ... douce folie nécessaire en ces temps froids et gris. Merci aux Éditions Héliopoles pour la qualité de leur mise en page et relecture. Je vous conseille vivement cet ouvrage, mes amis ! 

Quatrième de couverture

Émilien, écrivain parisien d’une trentaine d’année, fréquente assidument la Laverie 66. Jusqu’au jour où il y perd un cahier contenant son précieux manuscrit. À moins qu’un habitué des lieux ait fait main basse dessus.

Par la magie de son style, Valère-Marie Marchand fait vivre une galerie de personnages rocambolesques autour de son héros, dans une contemplation vertigineuse du hublot de la machine n° 6.

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