Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
Pachinko
Min Jin Lee
Charleston
Janvier 2021
622 pages traduites par Laura Bourgeois
Historique
Chronique
30 juin 2021
« - Go-saeng, dit Yangjin. Le destin d'une femme est de souffrir.
- Oui, Go-saeng, répéta Kyunghee.
Toute sa vie, Sunja avait entendu cet adage martelé par les femmes. Elles devaient forcément vivre dans la souffrance - en tant que fille, en tant qu'épouse, en tant que mère - et mourir dans la souffrance, tel était leur destin. Go-saeng... Ce mot lui filait la nausée. Y avait-il une autre voie que l'endurance ? »
Le Pachinko est un appareil, mélange de flipper et de machine à sous, prisé des japonnais. Les établissements de jeu sont généralement tenus par des Coréens qui n'ont pas beaucoup de choix de carrière au Japon, victimes de racisme et de mesures de privations des libertés même nés sur le sol nippon. Ils restent pour toujours des ganjin, des étrangers au même titre que les Chinois, soupçonnés d'être des criminels, des yakuzas, considérés par les colonisateurs japonais comme des inférieurs. À l'occupation du sol, l'Empire du levant ajoute la déportation de milliers de Coréens mourant de faim chez eux puis au Japon.
Des Coréens qui sont partis de leur terre maternelle avant la seconde Guerre mondiale, qui n'ont donc pas connu leur pays coupé en deux. Bloqués au Japon où ils n'ont pas d'avenir, ils ne peuvent revenir non plus sur la terre de leurs ancêtres : pour certains leurs biens sur place ont été confisqués par la dictature communiste, pour d'autres, tout a été soufflé par le vent de l'Histoire.
Ces Coréens du Japon sont donc apatrides, piégés, en apnée, comment se construire personnellement dans ce contexte, comment envisager un avenir ?
L'auteure, grâce à cette fresque historique magnifique, puissante, bouleversante, originale, surtout pour nous occidentaux, m'a bluffée : elle traite du racisme, de la colonisation, de la guerre, de la condition féminine, des rapports parents-enfants, d'héritage, de passation de témoin intergénérationnel, en nous contant le destin de femmes et d'hommes de la même famille en Corée puis au Japon. Son empathie et sa bienveillance envers ces ombres du passé sont entières.
Nous suivons pas à pas Sunja, jeune villageoise timide et naïve de 1930 à 1989... Séduite par un Coréen riche venu du Japon, (on apprendra plus tard qu'il est marié à la fille d'un yakuza), elle tombe enceinte alors qu'elle même n'est qu'une enfant. Sa mère Yangjin, tient une pension de famille où arrive bientôt un voyageur en chemin vers le Japon. Le jeune pasteur presbytérien Baek Isak en effet projette de rejoindre son frère Baek Joseb à Osaka.
Mais, de constitution fragile, Isak tombe très malade sitôt installé à la pension : récidive de tuberculose.
Les deux femmes décident de l'isoler des autres résidents et de le soigner. Le destin vient de s'inviter dans l'existence paisible de ces Coréennes, déjà menacées sans qu'elles le sachent, par la foudre que la seconde Guerre Mondiale va faire s'abattre. Un ouragan se déchaînera sur le pays tout entier et leur petite bourgade en particulier.
Min Jin Lee est une autrice surdouée, son texte est d'une grande délicatesse quant aux analyses de la psyché de chaque personnage et des conditions politiques, économiques, ayant mené à la colonisation puis la déportation et la maltraitance par le Japon de leur victimes Coréennes et Chinoises.
Les protagonistes de ce récit somptueux, exceptionnel, sont tous assujettis à un destin implacable par on ne sait quel dieu vengeur, mais aussi par les traditions, croyances et codes de l'honneur de leur pays d'origine fantasmé et du Japon. Le mélange est explosif, détonant et provoque la ruine de plusieurs vies.
Cette histoire particulière apporte sa pierre à la Tragédie humaine universelle et intemporelle.
D'une beauté, d'une cruauté, d'une poésie infinies, ce roman est à part, c'est un chef-d'œuvre absolu, précieux, indispensable, incontournable.
Je remercie la Médiathèque Pablo Neruda de Malakoff de l'avoir ajouté à son catalogue.