Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
Lettres à Missy
Colette
Editions des Femmes Antoinette Fouque Bibliothèque des voix
Mai 2019
Lu par Anouk Grinberg
Roman
Chronique
31 octobre 2019
Durée 1h11 ; morceaux de Satie, Fauré, Sibelius interprétés par Joëlle Guimier. Réalisation de Francesca Isidori.
« Mon amour chéri, j'ai enfin reçu une lettre de vous, la première ! Je suis bien contente. Elle est bougon, elle est gentille et je la trouve délicieuse, puisque vous dites que votre odieux enfant vous manque ! Ma chérie, cela suffit pour me combler de joie, et j'en suis devenue rouge, toute seule, de plaisir, d'une sorte d'orgueil amoureux. Que ce mot ne vous choque pas mon pudique petit Missy, il n'y a vraiment que le mot amour qui puisse servir pour dire la complète, la complexe et exclusive tendresse que j'ai pour vous. »
Lettre de Colette à Missy, Éditions Flammarion, 2009.
J'ai écouté deux fois ce CD, afin de ne rater aucun détail, aucune inflexion de voix ou soupir. Car dans cette collection, comme l'écrit Antoinette Fouque, « la voix c'est l'Orient du texte. »
Le timbre feutré, grainé, à la prononciation glissante comme en abandon, en lâcher prise psychologique et sentimental, et au débit changeant, suivant les humeurs en perpétuelle métamorphose de l'écrivaine, m'ont forcée à me concentrer plus encore. Pas de point d'accroche grâce à une accentuation des consonnes, non, c'est au sens des mots, au sous texte, que l'on doit s'attacher.
Nous entrons ainsi, grâce à cette littérature épistolaire qui fut, d'abord et avant tout, des messages et témoignages d'amour véritable entre Colette, ici comédienne en tournée, parfois cheffe d'orchestre pour rire ou metteure en scène de circonstance, et Missy, aristocrate richissime qui transgresse, par son aspect et ses mœurs, tous les tabous de la société française corsetée, à peine sortie du XIX ème siècle et s'y attardant encore jusqu'à la guerre de 14-18. Pénétrer ainsi dans l'intimité de ces femmes, semble anecdotique, pourrait prêter à sourire... Et pourtant, sous la narration du quotidien, des futilités, des banalités, des mots d'amour échangés pareils à ceux de tout couple éthéro ou homosexuel, des fâcheries, des jalousies, tout le monde peut reconnaître sa propre histoire.
Une banalité cependant magnifiée par l'écriture, le style, l'intelligence et l'esprit de Colette.
Elle s'y présente comme une enfant parlant à sa mère, cette auto-infantilisation réelle ou jouée s'assure la protection de l'aimée. Elle choisit, comme avec Willy, une figure tutélaire, puissante, imposante. Elle peut ainsi rester ultra féminine tout en menant sa vie très « virilement » à l'égal de ces hommes qui ont tous les droits. Elle compte beaucoup aussi ses sous, parle beaucoup d'argent....
Ce qui m'attriste, c'est que plus de cent ans après, les lesbiennes sont toujours des cibles rêvées pour des homophobes dégénérés, et les femmes en général sont toujours en butte à une société patriarcale rétrograde et injuste.
D'autre part, Colette grâce à son regard acéré sur ses contemporains et le monde qui l'entoure, apporte un témoignage précis sur les évènements petits ou grands lors de cette tournée épique en France jusqu'en Afrique du Nord. On croise Vincent d'Indy et d'autres célébrités dans leur quotidien, sans fards ni masques. Les décors sont plantés, chambres d'hôtel, loges, théâtres.... On s'y croirait. Elle nous régale d''anecdotes cocasses, elle se met en scène, quelques fois s'abandonne sous le regard amoureux de Missy. Par le truchement de l'exercice particulier de la rédaction d'une lettre à l'être aimé, Colette garde le contrôle tout en nous laissant deviner à son insu bien des incertitudes et peurs dans ses silences.
Anouk Grimbert de par la qualité de son interprétation et sa signature vocale, apporte ce supplément d'âme à ces lettres plus que centenaires et les font redevenir contemporaines. Très belle mise en musique également, tout en nuances, harmonie et fluidité...
Une réalisation soignée encore pour cette maison d'édition que je remercie pour sa confiance renouvelée.