Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
Les Nuits de la Peste
Orhan Pamuk
Gallimard
Mars 2022
683 pages traduites par Julien Lapeyre de Cabanes
Polar Historique
Chronique
24 décembre 2022
Un ouvrage de Orhan Pamuk est toujours multiple : grande fresque historique, roman d'amour passionné, et ici polar politique bien tortueux.Le texte est dense, somptueux, le dépaysement total, la réjouissance littéraire au summum. Tout en mettant en scène des êtres de fiction sur une île imaginaire, l'auteur traite de sujets réels et rapporte des faits historiques avérés.
Dans ce contexte d'épidémie de peste en 1901 se déclarant sur l'île de Mingher après avoir frappé Smyrne, l'on ne peut être que stupéfait par la pertinence et l'actualité de certaines situations et de certains comportements décrits par Orhan Pamuk ; malheureusement rien ne change, aucune leçon du passé ne porte ses fruits. Cette peste est l'élément déclencheur de tout
un mécanisme menant inexorablement à la chute d'un monde, d'une dynastie, d'un mode de gouvernance. Le signal pour l'Europe de la curée sous couvert de bienveillance hypocrite et de blocus sanitaire indéfendable.
Le texte est riche, beau, d'une somptuosité telle que quelques pauses m'ont été indispensables pour venir à bout de cette épopée extraordinaire et intime, de près de 700 pages. Les digressions n'en sont pas, plutôt des chemins de traverse permettant de mieux contextualiser cette histoire.
L'autrice de ce récit, comme elle se présente en ce début de roman, est émotionnellement et intimement liée au destin de la nièce du Sultan en place Abdülamid II, la princesse Pakizê, et de son mari, le docteur Nuri, spécialiste en épidémiologie. Ils sont le couple phare de ce roman auquel l'on revient toujours après s'être attaché à d'autres personnages. Les lettres que Pakizê envoie à sa sœur ainée restée à Istanbul forment la trame à partir de laquelle l'écriture sera possible.
Un savant et délicat mélange de vrai et de faux, de réalité et de légende.... Des mots qui résonnent particulièrement en ces jours de clair obscur, de crise sanitaire, politique et systémique.
Le dénouement est magnifique, intemporel comme tout ce roman, comme l'œuvre de Orhan Pamuk.