Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
Les Guerriers de l'hiver
Olivier Norek
Michel Lafon
Le 29 août 2024
448 pages
historique
Chronique
29 décembre 2024
Prix Renaudot des lycéens 2024
Prix Jean Giono 2024
Olivier Norek a parfaitement maîtrisé le virage littéraire, du genre polar à roman historique et biographique. Il a porté ce récit de guerre en lui pendant dix ans, a vécu avec en tête le visage de Simo Häyhä, la Mort Blanche, le légendaire snipper. Celui qui a abattu 542 russes au cœur de l'hiver finlandais, en 98 jours terribles, glaçants, lors d'une guerre qui n'aurait jamais dû avoir lieu.
Ce n'est pas seulement l'histoire de Simo qu'il nous conte mais aussi le parcours épique, tragique, héroïque de ceux qui l'entouraient et de certains de ses ennemis, en face.
Ce roman est évidemment un plaidoyer pour la paix car si une vérité absolue émerge de ces pages, comme de celles d'autres ouvrages traitant des grands conflits de l'Histoire, c'est qu'aucune raison évoquée par les dictateurs, dirigeants, présidents, pour entrer en guerre n'est valable. C'est toujours un misérable mobile à des crimes monstrueux, impardonnables. À travers les millénaires, la population civile, les hommes ou femmes envoyés sur les champs de bataille ont été sacrifiés sur l'autel du profit, de l'envie irrépressible d'argent, de domination, d'extension des terres, de la folie narcissique de certains dingues au pouvoir, prenant pour cibles des pays étrangers ou leur propre peuple, terrifié devant la paranoïa du chef suprême.
"Tu as sûrement entendu parler des Enfers ? Là, c'est pareil, mais le diable lui-même ne comprendrai pas ce qu'il se passe ici."
Soldat Tsurkin, armée soviétique, 150e division d'infanterie
Satan, ici, est l'ignoble Staline, serial killer et génocidaire devant l'Éternel. Qu'il brûle à jamais ! Afin de couper le chemin aux troupes de Hitler dans un avenir proche, il décide que la toute jeune nation finlandaise doit être annexée en partie. Rien de plus facile, pense-t-il, la Russie est puissante, forte de son armée rouge, de sa technologie, de ses guerriers innombrables.
En face, le petit pays de Simo Häyhä paraît être déjà fichu. Nation neutre de 22 ans, peu armée, elle est entraînée malgré elle, dans ce qui fut appelé la Guerre d'Hiver, (du 30 novembre 1939 au 13 mars 1940, soit 3 mois et 12 jours ).
Olivier Norek s'attache, s'appuyant sur une documentation solide faite de témoignages, d'archives, d'interviews réalisées auprès de survivants ou de spécialistes, à nous conter en détails les évènements terrifiants qui se sont déroulés à Kollaa en Finlande mais aussi sur son isthme, en Carélie, et à Petsamo. Toute une région s'étendant des côtes de son golfe jusqu'au cœur de la Laponie.
Il est difficile d'imaginer ce que furent ces 105 jours de guerre, ces vingt millions d'obus qui frappèrent la terre, le bruit assourdissant des chars d'assaut ou des bottes de ce million de soldats rouges déferlant sur ce minuscule pays qui eut le malheur de se retrouver sur le chemin de Staline.
"Au cœur du plus mordant de ses hivers,
au cœur de la guerre la plus meurtrière de son histoire, la Finlande vit naître une légende.
La légende de Simo Häyhä, la Mort Blanche.
Il y avait pourtant eu des jours heureux, une paix chérie.
Il y avait eu un avant, un peu avant l'enfer."
Qui est ce jeune paysan et qui sont ses amis ? Que vont-ils devenir tout au long de ce conflit ? Qui va-t-il rencontrer au cœur de la tourmente ? Comment va-t-il devenir ce snipper craint par tous les guerriers rouges, par Staline et ses généraux ? Quels sont ceux qui lui donnent les ordres ?
Tous ces personnages nous deviennent familiers, pour certains proches, l'auteur multipliant entre deux scènes de guerre apocalyptiques et de batailles incroyables, des scènes touchantes ou cocasses, intimes et bouleversantes. Nous ressentons profondément les pertes, les deuils, l'absurdité de cette boucherie. Même du côté russe, nous comprenons que tous, quel que soit leur grade, sont les otages de Staline, s'attendant à être exécutés ou envoyés en camps de concentration sur ordre du dictateur.
"Quand le feu d'artillerie russe, roulant et meurtrier se mettait en branle, des milliers de marteaux chauffés à blanc résonnaient avec fracas dans la tête des soldats finlandais. Un homme ricanait stupidement, un autre pleurait, hystérique."
Erkki Polalampi, armée finlandaise,
officier d'information sur le front de Kollaa
Le récit de cette Guerre d'Hiver méconnue rappelle que rien n'est impossible à qui a le cœur vaillant, sans haine mais déterminé. Les armées rouges aux portes de la Finlande, il leur fallait se battre avec leurs maigres ressources, tout leur courage et leur intelligence. Histoire d'un héros, histoire d'un peuple, histoire intemporelle et légendaire digne des plus grands récits de la mythologie.
Tous les romans de Olivier Norek sont des réussites, l'auteur totalement impliqué dans le message qu'il souhaite à chaque fois passer. Après "Entre deux mondes", que je qualifie de reportage de guerre dans la jungle de Calais, il signe un nouvel opus remarquable et incontournable alors que des fous jouent les va-t-en guerre, prêts encore à sacrifier la population civile et des jeunes gens considérés comme de la simple chair à canon.
Gratitude, monsieur Norek.