Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
Les Exilées de Troie
Pat Barker
Éditions Charleston
Le 12 janvier 2022
378 pages traduites par Laurent Bury
Historique
Chronique
22 avril 2024
Titre original : The women of Troy
Tout commence par une nuit de silence assourdissant, de paix trompeuse, de chuchotements, de terreur, de perplexité... Des hommes sont silencieux, apeurés et sur le qui-vive à l'intérieur du cadeau gigantesque laissé devant les portes de Troie : le fameux cheval...
Plus un Grec n'est là sur la plage, dans le campement. Se pourrait-il qu'enfin les Troyens soient vainqueurs ?
Cassandre échevelée crie la vérité, désespérée et en fureur ... Mais rien n'y fait. Ce que les Dieux veulent, ils l'auront.
Implacable destin, monstrueuse boucherie, inutile cruauté.
Pyrrhus est le pire, fils d'Achille, indigne à ses propres yeux de cette légende, il ne cesse de vouloir prouver le contraire. Un gamin de 16 ans projeté dans l'enfer : déboussolé, sans expérience, il se charge avec rage de tuer Priam, le roi. En effet, il l'exécute avec des coups imprécis, c'est un carnage dont les femmes présentes, suffocantes, sont témoins. Cassandre, la reine Hécube, et bien d'autres.
Suite de "Le silence des vaincues" déjà chroniqué sur Évanances littéraires, roman historique somptueux, poignant, incontournable, dont le but était de nous conter la première partie de la guerre de Troie vue par les femmes et Briséis en particulier.
Celle-ci a vu Achille tuer ses frères, son père, son roi du haut des remparts de sa ville non loin de Troie ; elle lui a été offerte en trophée, en esclave sexuelle.
Elle tombe enceinte, Achille meurt.
Prévoyant, il a décidé de son mariage avec un de ses fidèles, Alcimos, chargé de protéger l'enfant. Elle est une femme libre, donc peut se déplacer d'une cabane à une autre.
Les dés sont jetés.
Après la chute et la destruction de la cité, les femmes sont emportées comme esclaves, toutes sous le même statut qu'elle qu'est été leur classe sociale auparavant.
Les Dieux sont malicieux ou veulent venger les atrocités perpétrées par les Grecs, les vents contraires se lèvent empêchant ainsi les bateaux de rejoindre leur port d'attache.
Le camps s'organise à la va-vite.
Ce temps suspendu permet à Pat Barker de nous peindre le quotidien de ces héroïnes, passées à la postérité, dans leur quotidien, leur intimité.
Chacune est attribuée à un Grec plus ou moins prestigieux :
- Hécube échoue par chance à Ulysse. La vieille femme est très diminuée, maigre, sale, mais le regard incisif et la rage intacte.
- Andromaque est donnée à Pyrrhus celui qui a tué Priam et son bébé, fils d'Achille l'assassin de son époux Hector.
- Cassandre revient à Agamemnon qui s'en entiche alors même que sa femme légitime, Clytemnestre, l'attend. Agamemnon le père ayant sacrifié sa fille Iphigénie afin qu'enfin les vents de lèvent pour partir et mener la mission d'arracher Hélène, la sublime épouse de son frère Ménélas, aux mains des Troyens. Celui-ci se prosterne immédiatement devant celle que tous haïssent, Grecs ou Troyens. Celle par qui le malheur s'est abattu.
Les portraits de ces figures de l'antiquité sont d'un réalisme confondant. Notre guide est Briséis passant de l'une à l'autre, s'attachant aussi aux plus modestes. Les horreurs commises par les vainqueurs et Pyrrhus sont légion, les femmes s'organisent en résistance.
Le pire advient lorsque le fils d'Achille interdit que l'on enterre dignement Priam. Cela ne se peut ! Alors débute une enquête menée par le prêtre troyen Calchas pour infléchir cette décision déshonorante. Prouver que Pyrrhus a commis un meurtre et non pas l'exécution d'un ennemi. Alors des obsèques dignes pourraient advenir.
Crépusculaire, nimbé de brouillard, tout n'est que ruine, deuil, terreur, mais aussi colère froide, détermination, dissidence larvée....
Un second tome stupéfiant de vérité absolue, totalement intemporel puisque traitant du viol comme arme de guerre, de l'absurdité insupportable de celle-ci, et du pouvoir des femmes sous domination patriarcale à combattre jusqu'à la fin, à survivre ou à mourir sans avoir trahi leur conviction, leurs croyances, leurs Terres.
Prodigieux ! Gratitude madame Pat Barker.