Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
Le Gang des rêves
Luca Di Fulvio
Slatkine & Cie
2 juin 2016
720 pages traduites par Elsa Damien
Roman et Historique
Chronique
4 janvier 2018
Bonjour New-York ! Bienvenus dans une longue et magnifique « Pastorale américaine », ou « Il était une fois l'Amérique », entre Scorcese, Sergio Leone pour le souffle de l'histoire, le dramatisme, les grands personnages, et pour faire bonne mesure, Woody Allen à la désespérance ironique et romantique.
Nous sommes dans un grand, très grand film, non ! Je me trompe, nous sommes au Théâtre, au New Amsterdam Theatre où nous a convié Christmas Luminita, un jeune homme hors du commun, dont on tombe immédiatement amoureuse, avec son regard marron doucement moqueur et sa mèche blonde, nous sommes chez les Diamond Dogs, son Gang de rêve !
Classer ce roman serait une erreur ; fiction historique, oui, récit d'une passion dévorante aussi, mais encore .... Thriller glaçant, chronique de vie, documentaire biographique, voilà ! Tout cela et ....
Tout commence en Italie à Aspramonte en 1906 avec une fillette de douze ans, Cetta Luminita, dans une famille de paysans durs à la tâche appartenant au Padrone. Celui-ci a bien remarqué que la gamine en passe de devenir une femme est bien jolie et comestible. Sa mère va alors trouver une solution terrible et cruelle pour sauver son enfant de cette concupiscence. Mais malheureusement, même si ce n'est pas le patron qui frappera, le destin restera impitoyable inéluctablement.
On retrouve Cetta, dans la cale d'un bateau avec son fils de six mois en route pour les USA, pour la liberté, pour fuir la fatalité. Elle est dure Cetta, en rage, pragmatique, elle sait déjà tout de la vie et de ce qu'elle peut en attendre. Elle a également une capacité à oublier les mauvais souvenirs sur l'instant, à sectoriser sa mémoire, pour toujours avancer, avancer sans se retourner. Et son fils né "Natale" est rebaptisé à la douane de Ellis Island "Christmas", un nom improbable de noir du ghetto qui peut faire rire, mais qui pour elle ne veut dire qu'une chose incontournable, essentielle, son fils est un Américain, point final.
Avec ses cheveux de blé et son regard sombre qui pourrait penser qu'il est italien ? Il est bien le fils de sa mère et il est américain, et quand il l'oublie, elle fait en sorte de sévèrement et avec tout son amour maternel, le lui rappeler.
Dès lors, le récit se partagera en première partie principalement entre Christmas et Cetta en intercalant des passages concernant d'autres acteurs de cette saga : nous suivrons les années d'apprentissage de 1906 à 1925 des règles de l'existence par Christmas dans le Manhattan des gangs de loubards italiens et juifs, et d'une façon plus aléatoire sans suivre la chronologie, de la trajectoire de sa mère, femme hors du commun, accompagnée de Sal un mafieux aux mains noires, laid de visage mais homme d'honneur, qui ne parle pas d'amour mais en donne les preuves. La deuxième partie est consacrée à Christmas et en parallèle à Ruth et Bill de 1926 à 1929.
Tout ce petit monde constitué d'âmes blessées, cabossées, irrécupérables parfois, violentes , cruelles, naïves, comiques, attendrissantes, est illustré par une sacrée collection de visages hauts en couleurs, ramenés à la vie dans des dialogues incroyables de réalisme et d'inventivité. On frémit, on pleure, on rit beaucoup.
Pour représenter la pureté, il y a Ruth issue des quartiers huppés de la bonne société corsetée juive, petite fille d'un émigrant, Saul Isaacson, personnage truculent au vocabulaire épicé, qui a bâti un empire dans la confection.
Saul et Christmas se ressemblent, le vieil homme le pressent immédiatement. Il le rencontre pour la première fois dans l'hôpital où a été emmenée Ruth, victime d'une agression et d'un viol terribles. Son sauveur, celui qui l'a trouvée dans la rue, Christmas accompagné de son ami pour la vie, Santo.
Un couple digne des plus célèbres amoureux vient de se former dans un regard ; une passion infinie est née, et personne ne va pouvoir desserrer les liens noués en ce jour fatidique où l'innocence a été déchirée. Un long, interminable chemin attend Christmas, Ruth, Cetta, Sal.
Luca Di Fulvio nous emporte dans une fresque fabuleuse au sein des quartiers malfamés de New York, dans les ghettos juifs et noirs, dans le monde en pleine expansion de la radiophonie balbutiante et du cinéma hollywoodien jusqu'en 1929, aux portes du crash boursier.
On a une sensation curieuse d'être dans un univers clos, aucun écho de la guerre mondiale ou des grands événements politiques de l'époque, chacun trime pour s'en sortir. New-York est le centre névralgique, alors le reste du monde ...
Le Mal absolu rôde, symbolisé par Bill le psychopathe violeur, fils d'un allemand et d'une juive polonaise. Il incarne tout ce qu'il y a de plus infâme, dépravé, dans cette société en devenir, quelque soit le milieu social. Il est l'élément terrifiant de ce récit qui apporte avec lui l'indicible, l'inconcevable, l'obscurité.
Tous sont perdus, confus, paumés dans cette cité gigantesque et écrasante de New-York, mais aussi à Hollywood, tous vont devoir apprendre à se connaître et s'aimer eux-mêmes pour se sauver. Certains le pourront, d'autres tomberont dans un gouffre sans fond. La limite est ténue entre la damnation et la rédemption.
Un livre majeur de 2016, un déjà grand classique de la littérature d'aujourd'hui tendant au cinématographique tant dans le découpage que dans le style imagé. Incontournable !