Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
Le cercle des mensonges
Céline Denjean
10 mars 2022
664 pages
Thriller Polar
Chronique
5 avril 2021
Jean de La Fontaine :
L'ingratitude et l'injustice des hommes envers la Fortune
[...]
« Et si de quelque échec notre faute est suivie,
Nous disons injures au sort.
Chose n'est ici plus commune :
Le bien nous le faisons, le mal c'est la Fortune,
On a toujours raison, le destin toujours tort. »
Une ouverture comme un prologue d'opéra baroque, dont le livret reprendrait les grands classiques de la Tragédie humaine.
Un roman écrit bien avant la pandémie et qui déjà porte en lui une dimension prophétique. Sans évidemment se poser en Pythie, ni en gourou d'une secte qui regrouperait ses lecteurs, la justesse du regard de l'auteure est troublante. Comme dans les opus précédents, l'écrivaine analyse cliniquement la société dans laquelle nous sommes ici piégés, enfermés, obligés de faire avec la manipulation manifeste de l'opinion publique, les pervers s'auto-proclamant leaders, le narcissisme et l'individualisme comme bouées de sauvetage en ces temps de peurs, d'incertitude. Chacun pour soi et même pas Dieu pour tous, ou après moi le déluge. Et si tout se casse la figure, on prétextera effectivement que c'est le destin, que nous n'y pouvions rien...
Sauver sa peau coûte que coûte et celle de ses enfants, c'est ce qui sera le mantra auquel obéira Efia M'Bani, piégée dans la tour de BCM Entreprise où elle travaille la nuit. Une invisible qui aurait souhaité le rester... mais elle a vu et a été vue également, témoin involontaire de la bascule d'un corps entraînant la bascule du monde qu'elle avait si patiemment construit.
Les textes de Céline Denjean ont toujours une dimension mystique, mêlant une poésie ténébreuse à l'horreur la plus abjecte, à l'instar de ces chapitres intitulés Songe 1, Songe 2.... La banalité du Mal se repaissant de lui-même, se trouvant toutes les excuses, s'admirant dans un miroir déformant prêt à s'innocenter. La folie ordinaire d'un tueur tapi dans l'ombre... Lui aussi n'a pensé qu'à sauver sa peau....
Un roman fascinant en ce qu'il traite à nouveau sous un angle différent de l'embrigadement insidieux de nos consciences, de l'endormissement de notre aptitude à juger d'une situation, de garder notre libre arbitre et, enfin, de notre incroyable capacité à nous raconter quelques fois de belles histoires pour pouvoir encore supporter notre reflet...
Ce thriller psychologique et d'action, tout comme l'a été, particulièrement pour moi, le premier opus "La fille de Kali", est effarant par la profondeur et la pertinence de l'analyse, du décorticage des évènements, par l'exposition des tenants et aboutissants de ce récit.
Un scénario formidable, deux ellipses qui se tournent l'une autour de l'autre comme dans un code ADN pour subitement, contre toutes les lois de la nature, se rejoindre. Deux équipes d'enquêteurs donc, l'une dirigée par la gendarme Éloïse Bouquet et l'autre par le lieutenant de police Urbain Malot, rebaptisé le Zèbre.
La première est appelée dans une forêt où git le corps d'une jeune femme étranglée. Un drame domestique, de la jalousie ? Il semblerait que cette épouse n'était pas aussi vertueuse que le laissaient présager les apparences. Éloïse et sa nouvelle équipe ne sont pas au bout de leur surprise...
La deuxième est chargée du dossier d'une femme de ménage retrouvée morte sur son lieu de travail, un building dans une zone sensible de Toulouse proche de l'université...
Le tout se complique lorsque le corps du neveu d'un ministre, possiblement suicidé, est découvert non loin de là....
Éloïse et le Zèbre suivent la moindre piste, prennent chaque chemin s'enfonçant toujours plus loin dans l'obscurité. Eux ne se laissent pas berner, ils ont trop affronté les ténèbres pour ne pas sentir les premiers signes d'une tempête à venir. Deux personnages fabuleux, touchants, puissants et fragiles à la fois qui ne peuvent se satisfaire des apparences, qui ne peuvent accepter que les forces du Mal gagnent encore et toujours, la partie étant semble-t-il pipée. L'un comme l'autre vont se battre pour le triomphe de la vérité et de la justice. Cela pourrait sembler perdu d'avance mais c'est oublier que la ténacité et la patience, nourries par la fureur, sont des armes mortelles pour qui se trouve en ligne de mire. Et justement, pour tous ceux qui se souviennent de l'opus "Le Cheptel", votre très grande patience va être récompensée. Pour cela, retour sur scène de l'inénarrable journaliste, tête à claques mais surdouée, j'ai nommé Amanda.
Je ne peux que vous conseiller vivement cette série policière originale, à part entière ; l'auteure inspirée réussit à relancer les dés, à mener le jeu magistralement, affinant son style reconnaissable entre tous, nous offrant de très belles pages extrêmement bien écrites. Une réussite !