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Éva a lu pour vous ..

Chroniques littéraires

Le cœur est un chasseur solitaire

Carson McCullers

Stock La Cosmopolite

2017

544 pages traduites par Frédérique Nathan et Françoise Adelstain

Classique

Chronique

14 juin 2020

En cette période terrifiante, burlesque et quelques fois grotesque, se plonger dans le premier roman de Carson McCullers paru en 1940 devient presque un geste séditieux, osé, politiquement incorrect... Mais ce serait une erreur d'évaluation car ce texte, comme l'a déclaré la Modern Library en 1998, est un chef d'œuvre se situant en haut de la liste des cent meilleurs romans de langue anglaise du XXe siècle.

Du haut de ses 22 ans, l'écrivaine décrit avec une intelligence et une capacité d'analyse prodigieuse, la survie de plusieurs personnages caractéristiques, en cette période d'un peu plus d'un an avant la seconde guerre mondiale, dans des décors d'une petite ville du Sud des États-Unis, où règnent racisme, ségrégation, lutte de classes, pauvreté, réveil des consciences citoyennes et politiques, désirs profonds de s'élever par l'éducation ou/et la lutte.

Elle n'édulcore rien, elle restitue sans filtre, elle narre une histoire, des destins, afin de nous dépeindre un tableau réaliste de ce qu'était la vie dans cette société sudiste d'avant guerre.


En écoutant ou en relisant la version poche de 1947 de ce roman, je me dis que plusieurs passages feraient grincer les dents de certains intégristes de la pensée parfaite. Mais le monde est imparfait, l'Histoire est imparfaite, l'humanité également. Alors l'écrivaine emploie un vocabulaire, des expressions, des accents, aujourd'hui jugés symptomatiques de racisme, pour faire renaître devant nos yeux ce passé commun, pas forcément glorieux mais souvent remarquable et formateur. Grâce à notre mémoire collective d'oeuvres diverses filmographiques, littéraires ou théâtrales, tels " Autant en emporte le vent" et bien d'autres chef-d'œuvres, elle nous amène à en tirer nos propres conclusions, enseignements : il faut construire de solides fondations à une maison pour pouvoir en élever les murs. Il faut savoir pour inventer un nouveau monde plus juste, plus égalitaire.

Réécrire le passé, gommer ou faire disparaitre des noms, des statues, ne peut que ralentir notre évolution, notre Révolution.


C'est un roman foisonnant, dense, choral, nous racontant la trajectoire choisie par différents acteurs de cette pièce en trois actes dont la figure centrale n'est pas pour moi, Mick, jeune fille déclarée double de la romancière, mais John Singer, sourd muet, et de par cette particularité, réceptacle de toutes les confidences de ceux qui croisent sa route principalement au café restaurant d'un certain Biff Brannon. À croire que son handicap drappe cet homme d'une aura de sagesse et d'aptitude à comprendre et conseiller les autres. Rien n'est plus faux : lui ne comprend pas vraiment ce que lui racontent tous ces gens, et ces derniers prennent en réalité leurs décisions sur une interprétation fallacieuse des réactions de Singer. Celui-ci n'a à l'esprit que son ami, le grec Spiros Antonapoulos, également sourd muet, hospitalisé en psychiatrie dans une ville lointaine. Il ne vit que pour les moments qu'il passera avec cet homme pendant de brèves vacances....


Cependant que ce soit Biff Brannon, le tenancier du café restaurant, ou Jake Blount le communiste, ou le docteur noir Copeland, ou Mick Kelly, adolescente rêvant de composer et de diriger un orchestre, ou tous leurs proches, chacun joue la partition de cette symphonie "pastorale américaine" inexorablement, avec l'illusion de pouvoir décider de leurs futurs. Ils s'affrontent, se confrontent, se tournent autour, s'aiment où se haïssent, se perdent, se trouvent, se cherchent tous dans les yeux de John Singer, le miroir dans lequel ils veulent distinguer leurs reflets. C'est un texte intemporel, exceptionnel, sans concession, presque brusque, étonnant de maturité et d'efficacité.

Âme sensible s'abstenir....


L'interprétation formidable, colorée et passionnée de Ariane Ascaride est un sans faute. Sa palette de voix semble infinie, sa conception de l'œuvre tout en finesse, respect et humanisme. Elle aime ce texte, elle aime ces personnages, on le ressent clairement. Une fort belle réalisation de Francesca Isidori, encore une fois ; un bel habillage musical composé par Chris Lancry interprétant son œuvre à l'harmonica.


Dernière précision : Ce roman fut adapté au cinéma en 1968, sous le titre original « The Heart is a lonely Hunter » réalisé par Robert Ellis Miller avec Alan Arkin et Sondra Locke.

Quatrième de couverture

Mick, garçonne passionnée et ambitieuse, erre en solitaire dans les rues du sud profond des États-Unis, happée par la musique qui s’échappe des fenêtres. Au café de Biff, Mick observe John Singer, le fascinant muet au calme olympien.
D’autres personnages aussi originaux qu’attachants évoluent autour d’eux, se croisent sans se rencontrer. Ils se regardent avec une curiosité pleine de tendresse face à la cruauté de la vie et à la pauvreté, portés par leurs rêves et leur soif de justice.
« Au bout de quelque temps, Mick sut quelles maisons captaient les émissions qu’elle voulait entendre. Une maison, notamment, recevait tous les bons orchestres. Le soir, elle y venait, et se glissait dans le jardin obscur pour écouter. Cette maison était entourée de superbes massifs, et Mick s’asseyait sous un buisson près de la fenêtre. Et quand c’était terminé, elle restait dans le jardin, les mains dans les poches, à réfléchir longuement. » C. McC.

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