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Éva a lu pour vous ..

Chroniques littéraires

Le baiser

Sophie Brocas

Julliard

2019

297 pages

Historique

Chronique

7 septembre 2019

Splendeur ! Plus j'avançais dans cette lecture plus mon enthousiasme croissait au même titre que mon émotion. Je finis bouleversée, pleinement heureuse de ces heures de découvertes, d'enseignement, de beauté, offertes par Sophie Brocas dans cet ouvrage, certes fictionnel, mais également biographique, historique, romanesque, sociétal.


Un double portrait de femmes, à plus de cent ans de distance, en parallèle : -

La seconde Camille, avocate dans un grand cabinet anglo-saxon, âgée de plus de quarante ans, à la vie si millimétrée, en apnée psychologique, mettant ses pas dans ceux de...

- Tatiana, la première, une très jeune réfugiée russe en 1910 à Paris, étudiante en médecine, féministe, ivre de justice sociale, à l'encontre des valeurs de son milieu aristocratique tsariste d'origine.


Il suffit d'un incident pour changer toute une existence, pour nous obliger à revoir notre copie, notre échelle de valeurs, nos priorités. À 43 ans, Camille, baptisée par ses parents Vénus, ne sait manifestement pas qui elle est véritablement. Elle se rend invisible, sans corps ni réalité tangible pour son entourage, sauf pour sa meilleure amie Ameline, féministe de gauche affirmée.


8h15, départ de son studio au pied de la Butte Montmartre, elle veut vite s'engouffrer dans le taxi de Hassan, son chauffeur attitré depuis treize ans, et rejoindre rapidement son petit bureau de 12m2 dans l'immeuble de la firme McAnton. Raté ! Un voisin, Marc Comard, directeur des cimetières de la ville de Paris, la bloque afin de lui exposer un problème épineux, incroyable.... En effet, un inconnu souhaite tout simplement procéder à un enlèvement.... celui d'une sculpture célèbre du maître roumain Constantin Brancusi, "Le baiser", ornant la tombe au cimetière du Montparnasse d'une jeune fille, Tatiana, suicidée en décembre 1910.


Il lui met de force une enveloppe kraft entre les mains contenant tous les éléments de l'énigme... la voilà ferrée et elle ne le sait même pas.


Dès le chapitre 2, Tania prend enfin la parole grâce à son journal. Notre rencontre avec cette héroïne débute le 30 janvier 1910. Nous découvrons une nature bien affirmée, petite nièce de Tolstoï, en ayant adopté les convictions "socialistes", poursuivant des études de médecine mais hébergée par une tante ne programmant pour elle que le mariage et la maternité. Hors de question ! Heureusement, Tania a pour meilleure amie Marthe, ouvrière au franc parler, pragmatique, féministe éclairée, aux jugements et critiques sûrs, tant envers les figures féministes extrémistes de l'époque qu'envers les hommes mysogines et paternalistes.


Le Dr Bémard, avec lequel travaille Tania, va la présenter à un homme fabuleux, un berger des Carpates venu à pied à Paris, habité de sa passion, Constantin Brancusi.

Le destin est en marche.


Ce roman est une merveille de par la visite de Paris en 1910, de Biarritz, du milieu médical, estudiantin, artistique de Montparnasse, du microcosme des Russes blancs, jusqu'à nous emporter en Roumanie de nos jours. Une réflexion sur la définition réelle à donner au " féminisme", sur l'accaparement du corps de la femme par la société, l'Eglise, les parents, le mari, les hommes, un corps spolié aux intéressées qui de fait se retrouvent également muettes, puisque leur voix n'a aucune valeur ; alors elles doivent soit crier, soit abandonner et mourir. Enfin, à l'instar de Brancusi qui intenta un procès aux États-Unis qu'il gagna, l'auteure traite de la question du statut des oeuvres d'art, patrimoine mondial pourtant objets d'estimations marchandes, d'un mercantilisme haïssable. Que ce soit les œuvres ou le corps féminin, des convoitises coupables et intéressées les menacent, les reléguant au rang de simples biens moneyables.


Camille, pourtant notre contemporaine, exilée dans la capitale, arrivée de la ferme familiale, n'ayant jamais eu de vraie histoire d'amour, est désincarnée. Seule passion : le tricot. Même le prénom qu'elle s'est choisi est ambigu, asexué. Mais Tania va la prendre par la main pour la ramener vers Vénus, qu'elle deviendra enfin... Camille en s'opposant de toutes ses forces au rapt du Baiser, sculpture scellée à la tombe, donc partie intégrante de Tania, réussira peut être à redonner corps et voix à la jeune morte mutique depuis si longtemps. La réincarner, en luttant pour que Le Baiser reste en place, devient une quête vitale.


Camille ressemble beaucoup à Sophie Brocas sur nombre de points de leurs biographies respectives, et l'écrivaine grâce à la rédaction de ce roman splendide réussit le miracle de rendre à Tatiana sa vie, sa réalité, à l'ancrer à perpétuité dans nos mémoires..


Car si ce livre est une fiction, il est basé sur un fait réel : la sculpture Le Baiser est bien au centre d'un procès incroyable entre la France, à qui Brancusi a légué toute son oeuvre, et la Russie, patrie de Tania. La sculpture est même aujourd'hui cachée dans une caisse en bois pour empêcher les promeneurs de l'admirer, tel que le souhaitait Brancusi lui-même. Un feuilleton judiciaire aberrant qui s'éternise.


En attendant, grâce à Sophie Brocas, quel que soit le jugement final, Tania et Constantin ont déjà gagné.

Si j'avais pu, j'aurais enregistré le livre en entier tant je l'ai aimé. Je vous passe le témoin.... Partagez !

Quatrième de couverture

Camille a toujours exercé son métier d'avocate avec sérieux, mais sans grande passion. Jusqu'au jour où on lui confie une affaire inhabituelle : identifier le propriétaire d'une sculpture de Brancusi, Le Baiser, scellée sur la tombe d'une inconnue au cimetière du Montparnasse. Pour déterminer à qui appartient cette œuvre, il lui faudra suivre la destinée d'une jeune exilée russe qui a trouvé refuge à Paris en 1910.
En rupture avec sa famille, Tania s'est liée à l'avant-garde artistique et a fait la rencontre d'un sculpteur roumain, Constantin Brancusi.
Avec lui elle découvre la vie de bohème.
Cent ans plus tard, élucider les raisons de sa mort devient pour Camille un combat personnel : rendre sa dignité à une femme libre, injustement mise au ban de la société.
Avec ce portrait vibrant de deux femmes en quête de justice et d'indépendance, Le Baiser questionne aussi le statut des œuvres d'art, éternelles propriétés marchandes, qui sont pourtant le patrimoine commun de l'humanité.

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