Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
La trilogie Steampunk
Paul Di Filippo
Bragelonne
15 février 2017
335 pages, traduites par Monique Lebailly
Historique Fantastique
Chronique
11 juillet 2017
« Avec ce superbe ouvrage, Di Filippo se pose en maître suprême du Steampunk. Un brillant mélange de style victorien authentique, d'intrigues baroques et d'art de la narration inventif. Unique. »Voilà ce qu'on lit en début de 4ème de couverture. Je complète un peu : Paul Di Filippo est écrivain et critique de Science-fiction et l'un des initiateurs du mouvement Steampunk.
Cette trilogie est en fait trois nouvelles dans un magnifique livre aux tranches or et à la composition du texte et police du XIXE siècle. Immédiatement évidemment par le côté aventure, les connotations scientifiques et le type de personnages, on pense à Jules Verne. Mais alors irrévérencieux, très sexuel, et politiquement incorrect. Beaucoup d'imagination dans les descriptions d'êtres hybrides, les machineries, etc....mais solidement bâti sur une érudition savante et historique de la période victorienne. Bien sûr on peut au premier degré ne voir là qu'un beau délire prodigieux mais le propos est bien plus profond et engagé.
Première nouvelle : la jeune Victoria a quelques jours de son couronnement disparaît, le premier ministre est désespéré et demande que Victoria un être hybride de triton et d'humain prenne sa place pour quelques jours. Celle-ci se nourrit de mouches vivantes et est une obsédée du sexe. Cosmo Cowperthwait le créateur de ce sosie donne son accord et se met à la recherche de la future reine. Celle-ci est dans un lieu improbable ou elle parfait sa connaissance du monde et des hommes si je peux dire, avant d'accepter le sceptre et la couronne. Premier récit qui pose donc le décor et l'époque prévictorienne, colorée de digressions imaginaires avec ces êtres mutants. Évidemment ce sont les expériences sur les animaux, les recherches génétiques non morales et l'eugénisme qui sont visés.
La deuxième nouvelle est bien plus violente: Sous prétexte de la recherche d'un fétiche ( de caractère sexuel évidemment ) un couple de sud-africains, un blanc avec sa femme noire Dottie, hottentote, se présente chez le scientifique célèbre et reconnu le suisse Agassiz installé à Boston pour poursuivre ses recherches. C'est là matière à dénoncer le racisme, la supériorité supposée des blancs sur les sauvages, à l'heure où bientôt la théorie de l'espèce de Darwin va être connue de tous. Les prémisses de la pensée nazie son racontées, les réalités d'un métissage de tous les peuples sont effleurées. Toujours présents, ces hybrides hommes-animaux, cette fois poissons, insistance aussi sur l'importance des croyances ancestrales sur la science..... Une nouvelle donc transgressive et fort peu légère même si le ton est humoristique, à la Jules Verne.
La troisième m'a profondément touchée mettant Emily Dickinson et Walt Whitman en présence l'un de l'autre. Leurs poèmes sous-tendent toute cette très belle partie poétique et onirique concernant la mort et la survivance de l'âme après la mort. Les décors sont ceux créés par les deux poètes. Pour Emily dont j'ai interprété plusieurs fois douze poèmes mis en musique par Aaron Copland, j'ai reconnu Sleep is supposed to be et The Chariot, celui qui nous emmène vers la mort à l'est de l'éternité. Pour se faire l'auteure fait référence aux séances de spiritisme très à la mode à l'époque.
Très étonnant livre donc qui m'a un peu perdue lors de la deuxième nouvelle en raison de la difficulté de compréhension du galimatias du sud-africain à peine intelligible et qui nuit à la fluidité de l'écriture, mais m'a conquise par la troisième partie. Je comprends que ce style hybride de science-fiction victorienne puisse séduire. La beauté aussi de l'objet apporte un plaisir supplémentaire. Je dirais que me concernant l'intérêt de ce média est aussi de faire passer des messages pour le futur en s'appuyant sur le passé. A découvrir donc.