Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
L'ombre de l'autre
Fabio M Mitchelli
Editions France Loisirs
2019
414 pages
Thriller
Chronique
19 décembre 2018
Découverte totale de cet auteur, passionné par les faits divers et les grands criminels du XXe siècle. Je vais donc doucement remonter chronologiquement dans son œuvre et lirai bientôt l'avant dernier de ses opus "Le tueur au miroir" qui devrait me parvenir d'ici peu.
« Dans son ultime œuvre, La Tempête, William Shakespeare écrit : « L'enfer est vide, tous les démons sont ici. »
À mon sens, il n'est pas inintéressant de considérer que l'enfer est une métaphore de notre civilisation, avec tout ce que cela comporte : l'évolution, la régression, le bien, le mal, les individus bienveillants, mais aussi les êtres malfaisants qui vivent près de nous, tout autour de nous... De ces ambivalences humaines naissent les monstres. » F. M.
Le bien, le mal, l'enfer et le paradis, tous reflets les uns des autres.... comme nous, faits du pire et du meilleur. La notion de monstre, en revanche, ici m'étonne encore personnellement, car en regardant dans les yeux d'un de ces criminels on découvre que le terme de monstre est impropre, c'est les requalifier selon des critères humains, une morale qui ne les concerne pas. Le vide est là au fond de leurs yeux sans aucun effet miroir, sans larme possible.
Le comprendre intimement, viscéralement comme j'ai dû le faire, lorsqu'on est en face de l'un d'entre eux, change radicalement la donne, la conception même de notre réalité et de l'existence d'une autre en parallèle, obéissant à d'autres logiques.
Comment arrêter et enfermer de tels criminels, de telles entités, « Ça », quels moyens mettre en oeuvre sur le terrain, quel travail de science comportementale mener à bien, et comment ensuite l'appareil judiciaire peut-il traiter de telles affaires, quelles peines faire encourir ?
Jeu de miroir pour ce thriller où une fiction issue de l'imagination de l'auteur recoupe et s'inspire du cas de Francis Heaulme prenant comme toile de fond le procès en appel contre celui-ci en mai 2017 à Metz.
Ainsi la description des lieux, la récréation de l'ambiance, de l'effervescence suscitées dans la presse, dans le public, sont parfaitement rendues. En parallèle de cet événement ultra médiatisé qui passionna encore le monde malgré les élections présidentielles, de nouveaux meurtres ont lieu dans la région. Nous voici donc emmenés dans une double circonvolution des crimes anciens et des horreurs d'aujourd'hui. Les enquêteurs et experts d'hier se joignent à ceux de 2017.
Je vois là une exposition et une recherche des origines du mal très réussies, une manière habile de revenir sur une affaire terrifiante pour laquelle des méthodes d'investigation de psycho-criminologie dignes de Quantico furent pour une fois utilisées, un "cas d'école" qui fit avancer les techniques policières au pays où Descartes est encore le maître. Il est évident que de tels dossiers, comme celui du petit Grégory, ont fait évoluer dans le bon sens la mise en œuvre de nouveaux procédés scientifiques pour assister les forces de l'ordre, apporter certains éléments propres à élucider des points charnière d'un dossier, et réussir à emprisonner un coupable. Important aussi la notion de reine des preuves... l'ADN ou l'aveu du criminel ? L'interview final entre Jean-Marie Beney, aujourd'hui procureur général près de la cours d'appel de Metz et l'écrivain est passionnante et nous laisse entrevoir les progrès à accomplir encore face à de tels individus hors cadre humain.
En ce qui concerne la fiction elle-même, l'écriture et la construction en sont remarquablement maîtrisées et claires. Les personnages sont attachants ou troublants à souhait, on se laisse enfermer dans une histoire complexe en résonance avec le passé.
Un plaisir donc de lecteur addict à ce type de littérature mais aussi une ouverture sur une réflexion quant à l'avenir des systèmes judiciaires et policiers en devoir de s'adapter à l'enfer, le vide, créés par certains bourreaux.