Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
L'Homme de Saint-Pétersbourg
Ken Follett
Robert Laffont
1982
348 pages
Historique
Chronique
20 mai 2020
« On ne peut pas aimer l'humanité
On ne peut aimer que des gens. »
Graham Greene
J'ai choisi ce livre dans ma liseuse par hasard, le confinement a du bon car je lis tous les romans en ma possession : cette phrase d'introduction a pris tout son sens en refermant ces pages, quant à l'intrigue elle-même, mais également quant à l'humanité dans ce qu'elle a de plus terrifiant ou de plus extraordinaire dans les moments tel celui que nous traversons actuellement.
Ce thriller politique, roman d'espionnage et historique ainsi que sociétal, est paru il y a presque quarante ans et reste totalement d'actualité par les thèmes traités toujours brûlants aujourd'hui. Je me pose donc la question de l'évolution de notre société, de notre pensée, de notre intelligence ....
Apprenons-nous de nos erreurs ? Pas certaine...
La période choisie à quelques mois de la déclaration de guerre en août 1914 est aussi une période charnière pour le monde entier :
Une bascule s'opère depuis le début du XX ème siècle qui trouvera sa finalité après ce conflit mondial ; jusque là des réminiscences du XIX ème siècle perduraient : la société était corsetée à l'instar des femmes dont certaines réclamaient le droit de vote, à leurs risques et périls, face à une société patriarcale qui n'hésitera pas à utiliser la violence et à emprisonner ces empêcheuses de tourner en rond.
« Tourner en rond », c'est bien cela, non seulement dans les rapports entre les sexes mais également entre les classes sociales, entre les richissimes et les pauvres, et entre les pays. On ressasse les querelles passées, on souhaite rester sur un statu quo inacceptable, on recule pour mieux sauter, alors même qu'il est indispensable et urgent de changer le fonctionnement des états et des sociétés.... Cela ne vous rappelle rien ?
Ainsi partout en Europe et en Russie des mouvements contestataires contre le pouvoir en place se font entendre jusqu'à déboucher sur des manifestations écrasées dans le sang, et fatalement par la prise des armes et des actes terroristes d'un peuple poussé à bout. Plus de justice, du pain pour tous, une égalité de droit sont à l'ordre du jour, particulièrement en Russie où malgré la fin du servage, la gouvernance désastreuse du Tsar Nicolas Il ne fait qu'attiser la haine et la violence.
La France, quant à elle, pleure toujours après l'Alsace et la Lorraine perdues à la suite de la guerre de 1870 et veut prendre sa revanche. l'Allemagne, par un jeu de transaction monétaire se renfloue en or et finance une armée moderne lui assurant une suprématie en cas de guerre. Celle-ci se profile à l'horizon.
Les premiers pays visés par l'Allemagne sont la France et la Belgique. Il est donc impératif ( cas de figure qui se représentera avant la seconde guerre mondiale) que la Russie soit l'alliée de l'Angleterre et de la France : ainsi l'armée allemande serait obligée de se diviser sur deux fronts.
Pour mener les tractations, un jeune aristocrate russe, neveu du Tsar, est mandaté à Londres afin de trouver un accord qui satisfasse toutes les parties. La Russie souhaite obtenir un accès à la mer. Ainsi Alexandre Orlov est attendu dans la capitale anglaise sous peu. Face à lui Churchill et llyod George choisissent Lord Stephen Walden, exemple parfait de la noblesse, lié par alliance à Alex. En effet Lady Lydia Walden est russe et de la famille du Tsar. Ainsi, sous prétexte d'un événement mondain d'importance, la présentation des jeunes filles de bonne famille au couple royal lors du bal des débutantes, Alex sera l'invité des Walden pour mener les conciliabules en secret.
Cependant dans le sillage du jeune homme, une ombre menaçante se devine... Felix, issu des couches les plus pauvres de la Russie, emprisonné, torturé, déporté pour ses opinions politiques, est devenu en moins de vingt ans un homme dangereux, un révolutionnaire, un terroriste. S'étant exilé en Suisse, il apprend que le Tsar envisage, si le traité est signé avec l'Angleterre, d'envoyer à l'abattoir toute une jeunesse d'origine modeste, un peuple déjà écrasé par ses conditions insupportables de survie. Or, ce n'est pas une guerre à l'étranger qu'il faut aux Russes selon lui, mais une révolution complète. Il est donc décidé, avec ses camarades, à organiser l'assassinat de Alexandre à Londres.
Voici donc Felix sur le quai de la gare londonienne ignorant de ce qui l'attend réellement ! Le destin va se jouer de lui et de tous les protagonistes de ce roman fabuleux, extraordinaire reconstitution des décors, de l'ambiance, des coutumes : Une course poursuite entre les forces de l'ordre et le terroriste s'engage, alors que Felix traque Alexandre partout où il peut se cacher. La tension devient extrême dans un contexte social et politique déjà complexe...
Une jeune fille, Charlotte Walden, va se retrouver au centre de cet ouragan et jouer, malgré elle, le rôle de déclencheur du séisme préfigurant celui plus terrible de l'assassinat de l'Archiduc François-Ferdinand et son épouse à Sarajevo.
Un roman complet, novateur pour les années 1980, déjà parfaitement maîtrisé sur le plan de la construction et de la narration. Tout est expliqué, décrit, sans que cela soit lourd où ennuyeux. Bien au contraire. Évidemment on repense à la série « Downton Abbey » créée bien plus tard, ou celle de « Masters and Servants » vers 1970 et reprise en 2010. Amazing !
Certaines pages sont à recopier tant l'analyse sur les raisons de la violence des hommes par rapport aux suffragettes, et plus largement aux femmes, est juste et éclairante, ainsi que le décorticage des évènements menant à la première guerre mondiale. À relire absolument !