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Éva a lu pour vous ..

Chroniques littéraires

Dieu ne tue personne en Haïti

Mischa Berlinsky

Albin Michel

2016

494 pages traduites par Renaud Morin

Roman

Chronique

5 juin 2018

Voici une incroyable fable où l'auteur tel Esope ou Lafontaine, nous conterait une histoire de destinée humaine, d'inéluctabilité, sur un ton drolatique, acéré, cruel, tendre, un peu distancié par auto-protection. C'est un roman très intelligent et puissant, usant d'une fausse légèreté, pour dresser le portrait de toute une bonne société à Jérémie, " la cité des poètes", petite ville au bord de la mer des Caraïbes, à Grand'Anse à l'ouest de Port-au-Prince, la capitale Haïtienne.


« Dégagé par péché » ou « Tout faire pour s'en sortir n'est pas un péché. » Proverbe créole. Tout est dit avant même de commencer.


Le début est un interrogatoire pendant lequel un ancien shérif de floride, Terry White, qui avec sa femme Kay a été ruiné aux USA, se retrouve à travailler pour la police des Nations unies ; il va mettre tout son talent à faire craquer son vis à vis.... Il a besoin de connaître, quel que soit le crime, les raisons du passage à l'acte. Et il dit toujours ensuite, mission accomplie : « Je comprends. »


Mais Terry cette fois-ci va-t-il vraiment pouvoir comprendre ? La personne en face de lui est très particulière, symbolisant à elle-seule Haïti et sa philosophie de vie.


Est-ce que tous les évènements anecdotiques ou tragiques qui se sont déroulés avant cet interrogatoire, lui ont suffisamment élargi sa conception du monde, pour réussir à relativiser. Car si il y a une chose qu'il faut savoir faire en Haïti, c'est relativiser.


La réalité est celle-ci : La mort, la pauvreté, les enfants au ventres gonflés et aux racines de cheveux roux à force de carences alimentaires, cette misère non cachée, devant les yeux de tous ces blancs venus pour sauver, s'enrichir, défendre des notions occidentales de justice, tous ces exilés dans l'enfer, qui le temps de la journée au nom des nations unies ou d'une ONG sont confrontés à une vérité insupportable, pour le soir se retrouver entre eux et avec des membres de la diaspora locale dans des restaurants où des demeures luxueux et indécents. De là à virer schizophrène.... Comment gérer ces deux faces de la même pièce.


La finesse et l'intransigeance du regard de l'écrivain sous couvert d'humour vont nous chercher aux tréfonds de notre conscience, ces lignes " servies par une prose électrique et hallucinatoire, sont tout simplement époustouflantes" comme l'écrit le Chicago Tribune. On ne peut rester insensible aux destins de tous ces oubliés du Bon-dieu, on ne peut pas ne pas se révolter devant le comportement de certains charognards politicards qui s'enrichissent sur ces moribonds.


Une solution miraculeuse serait une route de Jérémie à Port-au-Prince et toute la population serait sauvée, les plus fragiles auraient un avenir, les enfants ne mouraient plus et seraient soignés. Enfin on pourrait espérer. Mais cela ne fait pas l'affaire du sénateur actuel, Maxime Bayard, ni du maire, corruption chérie des pays du tiers monde oblige.


Un jeune juge métis donc « blan » pour les Haïtiens, Johel Célestin, va pourtant avec l'aide de Terry et de sa femme Kay, briguer le poste de sénateur pour la construire cette fichue route, et pourquoi pas une autoroute. À ses côtés, Nadia, celle qu'il aime plus que tout, qui l'envoûte, son épouse sublime, taiseuse, énigmatique, ensorcelante à l'histoire dramatique et exceptionnelle, comme cette Haïti qui, tout de même, fut une des seules colonies à se libérer et à botter les fesses de Napoléon. Un pays et un peuple incroyables qui, encore, vont devoir se relever. Nous sommes à quelques semaines du 12 janvier 2010, où à 16h53 la terre trembla.... remettons tout en perspective...


« Il existe un proverbe créole qui dit : « pas gen mort Bon-dieu nan Haïti." Qui signifie littéralement : " Dieu ne tue personne en Haïti" et, métaphoriquement, que personne n'y meurt de mort naturelle. Quand la souffrance semble dénuée de cause évidente, ils en inventent une, et la chose qui permet de passer de la cause à l'effet est le surnaturel. Quand on raisonne de cette manière, chaque mort est un meurtre, chaque infortune un crime ; et le monde s'éclaire alors d'une sorte d'affreuse logique meurtrière. C'est précisément le genre d'histoire que je vais vous raconter ici. »


Le narrateur un peu à l'instar de l'auteur est écrivain et a suivi sa femme nommée par les Nations unies à Haïti. Petit monde donc cosmopolite avec un trinidadien comme chef d'administration, organisant des barbecues où se retrouvent des asiatiques, africains et occidentaux, une douzaine environ. La description de l'organisation des troupes des nations unies, de leur recrutement, de leurs rôles et prérogatives exacts, de leur financement est un grand moment de sidération pour toute personne un tant soit peu sensée, p 154/156. Ce temblement de terre aussi terrible soit-il, pourrait-il remettre un peu les compteurs à zéro ? Genre on efface et on recommence .... Notre guide va donc tout nous dire sur ce qui advint de tous ces personnages avant le jour fatal et ensuite....

Avec le cœur et l'estomac bien accrochés, vous devriez vous en sortir. Bon voyage !

Quatrième de couverture

Jérémie, « la Cité des poètes », est une petite ville d'Haïti qui semble coupée du monde faute de routes praticables. C'est là, face à une mer de carte postale, qu'atterrit l'Américain Terry White, ancien shérif de Floride, après avoir accepté un poste aux Nations unies. Rapidement happé par la vie locale et ses intrigues politiques, il se lie d'amitié avec Johel Célestin, un jeune juge respecté de tous, qu'il convainc de se présenter aux élections afin de renverser le redoutable sénateur Maxime Bayard, un homme aussi charismatique que corrompu. Mais le charme mystérieux de Nadia, la femme du juge, va en décider autrement, alors que le terrible séisme de 2010 s'apprête à dévaster l'île...
Portrait féroce du pouvoir et magnifique histoire d'amour, ce roman inspiré de l'expérience de l'auteur rend un vibrant hommage à l'énergie éclatante du peuple des Haïtiens et de leur culture. Avec le regard d'un journaliste et la verve d'un collectionneur d'histoires, mêlant la tragédie à un humour ravageur, Mischa Berlinski s'impose comme un incroyable conteur.

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