Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
A comme Angot
Édith Soonckindt
Asmodée Edern
le 11 juin 2024
264 pages
Souvenirs
Chronique
19 août 2024
Insolite "petit" abécédaire résolument subjectif de Édith Soonckindt sur le personnage hors norme, adoré ou controversé, mais ne laissant personne indifférent : Christine Angot.
L'autrice fut son amie pendant six ans à Nice, une autre époque, une autre vie. Débuts dans l'existence, anonymat, volonté de se dépasser, de dire, d'écrire, de bousculer ... peut-être.
Elles se sont perdues de vue comme cela arrive souvent au gré des évènements et incidents qui jalonnent nos parcours.
Édith Soonckindt a suivi de loin la progression et le passage à la célébrité heureuse ou lourde de conséquences de Christine Angot, incontournable en librairie depuis 1999 avec "L'Inceste" et à la télévision ou en presse écrite plus tard.
Le but poursuivi n'est certainement pas de faire dans le sensationnel, de faire le buzz alors que le documentaire "Une famille" a remporté tous les suffrages en 2024 et modifié enfin le rapport du public au personnage C.A.
Non, le but est bien d'éclairer différemment ce visage qui a pu paraître dur, sévère, implacable, énigmatique et quelques fois insupportable à certains d'entre nous.
Oui, je me compte dans le lot : j'ai mis du temps à comprendre mon recul face à cette femme qui, sans que je le sache, racontait mon histoire, celle enfouie dans mon inconscient pendant 24 ans et qui enfin est remontée à la lumière en 2003 grâce à un rôle à l'opéra, Cassandre, celle qui crie la vérité et que personne ne veut croire.
Alors la sortie du succès de librairie "L'Inceste" 4 ans avant mon réveil, je ne l'ai pas vu ou pas voulu l'imprimer.
La parole sans concession et sans filtre de Christine Angot me heurtait n'étant pas prête à laisser affleurer la réalité du viol subi.
Mais aujourd'hui, je me retrouve énormément dans cette dénonciatrice inlassable de l'insupportable, de celle qui la première l'a ouvert enfin cette bouche "blasphématoire " ! Évidemment qu'il est impossible de ne pas en parler car avoir été victime de ce type de crime est une condamnation à vie à souffrir soudain terriblement, à être incandescente subitement au moindre mot, à la moindre maladresse...
Être à fleur de peau, de nerf, de larmes n'est pas souhaitable en cette société des apparences, coupable de complicité aveugle ou voulue. Et c'est ainsi que Christine Angot quitte un plateau de télévision, s'asphyxiant de douleur. Celles et ceux de notre côté de la barrière comprennent sa sortie, sa fuite, mais les autres, ceux qui ont échappé à l'impensable ? Beaucoup plus difficile ! Peur d'être sali, d'être contaminé par le malheur contagieux ?
Alors en effet, la "mission" de Christine Angot est la prévention et l'analyse complète, obsessionnelle des répercussions du crime sexuel sur enfant, pire de l'inceste, sur la cellule familiale, sur la progéniture à venir, sur les conjoints futurs.
Aujourd'hui, étant au même niveau temporel de compréhension du phénomène incestueux que Christine A. , après vingt ans de travail acharné à comprendre le scénario en son ensemble, j'utilise le même vocabulaire, les mêmes formules qu'elle dans son dernier documentaire "Une famille". Merci à toutes celles et tous ceux qui oeuvrent en silence ou dans la lumière à ce que les viols spécifiquement sur mineurs ne soient plus possibles par parents ou inconnus.
Mais revenons à la démarche de Édith Soonckindt dans cet ouvrage sous la forme ludique d'abécédaire. Elle se pose ici en spectatrice et témoin de l'ascension d'une amie, éloignée certes, mais jamais oubliée. Pour tout à chacun, la notoriété soudaine d'un membre de notre entourage est phénoménale et nous force à nous interroger sur notre propre trajectoire et les implications de la célébrité sur celle ou celui qui fut à nos côtés dans l'ombre. Alors, lorsque l'on est soi-même un membre du microcosme littéraire (écrivaine et traductrice de talent) sans être forcément sous les feux des spotlights et sans le même supposé compte en banque, les interrogations se multiplient, s'affinent.
Beaucoup de curiosité, de tendresse, d'envie mais non de jalousie, de nostalgie et un peu de tristesse, prennent possession d'Édith, et on la comprend.
Remarquablement rédigé et édité, cet ouvrage à la couverture coup de poing, symbole du cri de Christine Angot, ( Frédérique Longrée, " L'Érosion du silence", 2023), se lit avec infiniment de plaisir et d'intérêt car respectueux et inspiré.