Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
(In)visible
Sarai Walker
Gallimard Série Noire
11 mai 2017
368 pages traduites par Alexandre Guécan
Thriller
Chronique
22 août 2017
On ne sort pas indemne de ce roman noir lorsqu'on est une femme consciente de vivre dans un monde hyper-sexué, où son objectivation est constante et pernicieuse. Publicités, journaux dits féminins, clips vidéos, au sein de l' entreprise, en société, sur les réseaux sociaux, à la télévision... Si vous êtes d'une taille normale, vous pouvez, en étant extrêmement vigilante et intelligente, faire votre place, sans vous trahir, dans votre carrière et au sein de votre famille. Vous pouvez vous fondre avec grâce sans être dans la concession facile et même faire changer doucement mais sûrement les mentalités.
Mais, quand vous êtes une femme XXL, n'y pensez même pas! Vous êtes une agression permanente pour la grande majorité des hommes et aussi des femmes lobotomisées par un lavage de cerveau millénaire. Une femme XLL est forcément quelqu'un sans volonté, qui baffre toute la journée, une mal dans sa peau, une qu'on remarque trop, et si en plus, elle a deux neurones et des velléités de vivre sa vie comme toutes à chacune, attention ⚠les professionnels de la santé, les magazines, le regard des autres femmes, pas de tous les homme loin s'en faut heureusement, la ramènent vite à sa place. Sois INVISIBLE !
Depuis cinq ans un grand retour en arrière s'est amorcé, une régression accompagnant celle des tailles : la disparition dans les grandes enseignes aux prix abordables, des espaces pour les généreuses, les voluptueuses, ou alors ces espaces se réduisent de plus en plus.Une attitude stupide puisque la moyenne européenne est d'un bon 44 .
Alors un livre comme celui-ci ( je déteste cette couverture très limitative par rapport au propos), est sacrément transgressif et agressif, même pour une plantureuse comme moi à la langue bien pendue pour remettre les cons à leurs places. Il y a toujours un petit morceau du coeur qui se fissure et éclate en mille morceaux quand les minces, les " normaux" se permettent une réflexion du style " c'est dommage, vous avez un si joli visage", " ou si j'étais comme toi je serai catastrophée", (collègue chanteuse dans la loge que nous partagions devant mon habilleuse, je suis restée stoïque sur le moment mais, plus tard, avant une répétition des soprani avec le chef d'orchestre, devant le pianiste effaré par une nouvelle réflexion de la donzelle, j'ai répondu que "petit physique petite voix , grand physique grande voix !", Et que je préférais être à ma place qu'à la sienne.)
Parfois on hésite entre les somnifères pour soi et la batte de baseball pour éclater les autres.
Au début de cette histoire Prune est plutôt à vouloir se faire du mal, au lieu de se révolter. Pire elle répond à la place d'une certaine kitty, rédactrice d'un journal pour jeunes filles, à toutes les adolescentes en souffrance percutées par une société sexiste et cruelle, pas armées pour l'affronter. Pour se faire, elle va au café de Carmen avec son PC tous les jours à cinq minutes de chez elle ( kitty aurait eu du mal à voir ce pachyderme tous les jours au bureau), continue à prendre son médicament antidépresseur Z, s'habille de noir pour être transparente et s'alimente anarchiquement avec les produits de weistwatchers ( clin d'oeil) . En terme clair elle ne vit pas, elle crève de faim et les notions de plaisir et de joie de vivre lui sont étrangères. Son seul espoir, se faire opérer.Depuis un certains temps elle remarque une fille, Letty, au look très particulier la suivant partout et cela commence à beaucoup l'inquiéter. Un jour, celle-ci lui transmets un livre et fait en sorte qu'elle soit en relation avec le groupe féministe Calliope.
Parallèlement des symboles de la culture sexiste et humiliante pour les femmes sont attaqués par des terroristes aux méthodes brutales, sanglantes, sans aucune pitié, allant jusqu'aux meurtres après tortures : Un magazine dont la page 3 exhibe toujours une fille aux seins nus, une journaliste pornographique, une star du x et son mari, des hommes jamais condamnés mais coupables de viols, etc..... Groupuscule ou une seule exterminatrice sous le nom de Jennyfer ? Le FBI ne sait pas. Prune, ou Alicia de son vrai nom, se demande de plus en plus inquiète si Letty, qui a disparu, ne serait pas mêlée à cette affaire ?
L'auteur nous offre des passages d'une rare cruauté, trashs mais aussi cocasses et drôlissimes. Moments je dois dire jouissifs dans certains cas exposés.Toute les femmes se sentent peu à peu concernées, minces ou grosses, et cette barbarie féminine va avoir un impact général, mais aussi en particulier sur notre héroïne. Elle en devient bientôt une, au fil des pages, et sa métamorphose fait du bien. Du vitriol donc jeté au visage de notre société et un message à toutes les femmes en désamour d'elle-mêmes. Un bon roman noir et à haute calorie. MIAM !